1979 : l’entrée des femmes dans le Cercle

Le 8 février 1971 a constitué une année très importante dans l’histoire de notre démocratie et cette date est à marquer d’une pierre blanche pour les femmes de ce pays. C’est ce jour-là qu’a eu lieu une votation populaire sur l’introduction du suffrage féminin au niveau fédéral et cantonal pour certains cantons comme Fribourg qui n’avaient pas encore fait le pas. C’est l’aboutissement d’un très long combat commencé en 1893. C’est en effet cette année-là qu’une association créée trois ans plus tôt, l’Union suisse des Ouvrières, a réclamé pour la première fois le suffrage féminin. Le Comité central de l’une des plus anciennes sociétés d’étudiants de Suisse, la Société de Zofingue, se pencha sur cette question en juin 1901. Ses membres s’opposèrent au suffrage féminin en mettant en avant le fait que le cerveau féminin était moins développé. Et un participant ajouta même qu’en s’intéressant à la politique les femmes perdraient « ce charme de grâce qui est le plus bel apanage de leur sexe ». Trois ans plus tard, le parti socialiste inscrit le suffrage féminin dans son programme. Mais il existe encore une majorité de citoyens helvétiques qui redoutent que, si les femmes se mettent à faire de la politique, elles vont négliger leurs tâches ménagères et leurs devoirs maternels. Pas loin de l’argumentation actuelle de certains UDC attachés à la notion de famille traditionnelle où la mère, en priorité, s’occupe de ses enfants. En 1909 est créée l’Association suisse pour le suffrage féminin (ASSF). Trois ans plus tard, les députés socialistes saint-gallois demandent en vain l’introduction du suffrage féminin dans leur canton. D’autres cantons suivent pendant et après le premier conflit mondial sans plus de succès. C’est aussi pendant la guerre que sont déposées au Conseil national deux motions en faveur du suffrage féminin sur le plan fédéral. Elles sont transformées en postulats. Mais le gouvernement va les oublier allègrement pendant des décennies.

1920. Source : Bibliothèque de Genève

 

En 1929, l’ASSF, avec le soutien du parti socialiste, des syndicats et d’autres associations féministes dépose une pétition au niveau national signée par 249 237 personnes (78 840 hommes, 170 397 femmes). Une fois encore sans que cela ne débouche sur des résultats tangibles. La crise des années 30 renforce les tendances conservatrices et ne sert clairement pas la cause du suffrage féminin. De nouvelles et vaines tentatives ont lieu à divers niveaux (communal, cantonal et national) pendant et après le 2e conflit mondial. En 1951, le Conseil fédéral considère dans un rapport qu’au vu de tous ces échecs l’organisation d’une votation fédérale sur le sujet serait prématurée.

En 1957, trois communes bourgeoises de Bâle-Ville sont autorisées par le canton à introduire le suffrage féminin. Et la première à mettre la chose en pratique sera la commune de Riehen le 26 juin 1958. C’est en 1957 également que le Conseil fédéral entend imposer aux femmes l’obligation de servir dans la protection civile. Beaucoup d’associations féminines s’y opposent vu que les femmes n’ont toujours pas de droits politiques. Du coup, le Conseil fédéral présente un projet de votation sur le suffrage féminin. En 1959, c’est le non qui l’emporte par 654 939 voix (66,9%) contre 323 727 (33%), avec un taux de participation de 66,7%. Trois cantons romands acceptent toutefois : Vaud, Genève et Neuchâtel. Du coup, le canton de Vaud accorde cette année-là le droit de vote aux femmes sur le plan communal et cantonal, imité en cela par le canton de Neuchâtel et, en 1960, par celui de Genève. La Suisse alémanique attendra encore un peu. Les pionniers, de l’autre côté de la Sarine, seront Bâle-Ville en 1966 et Bâle-Campagne en 1968. Quant au Tessin, il faudra attendre 1969.

En 1968, une nouvelle polémique surgit car la Suisse envisage de signer la Convention européenne des droits de l’homme tout en excluant le suffrage féminin. L’ASSF organise une marche sur Berne. Pour apaiser les tensions, le Conseil fédéral se dépêche d’élaborer un nouveau projet concernant le droit de vote des femmes. Le fruit semblant mûr cette fois-ci, aucun parti ne milite contre pour ne pas se priver d’un électorat potentiel. Du coup, le 7 février 1971, c’est un oui en faveur du droit de vote et d’éligibilité des femmes au niveau fédéral qui sort des urnes. Et un oui assez franc (65,7%) avec un taux de participation de 57,7%. On observera toutefois que six cantons et deux demi-cantons ont refusé: Appenzell Rhodes-Extérieures et Rhodes-Intérieures, Glaris, Obwald, Schwytz, Saint-Gall, Thurgovie et Uri. La majorité des cantons, dont celui de Fribourg, l’introduisent au niveau cantonal dans la foulée.

Le Cercle a décidé, bien plus tôt que d’autres groupements fribourgeois du même genre, d’accueillir les femmes en tant que membres. Certains n’ont du reste toujours pas encore franchi le pas en 2016. Les deux premières femmes membres du Cercle ont fait leur entrée en 1979 : il s’agit de Marie-Jeanne Dubas et de Liselotte Spreng. Nous nous sommes dès lors demandé s’il existait un lien avec l’introduction du suffrage féminin et l’entrée des femmes en politique. Au vu des contacts étroits qui existent avec le parti radical, cela nous semblait logique. Malheureusement, nous n’avons pas trouvé de traces écrites de la chose dans les archives du Cercle. Nous avons par contre pu contacter Marie-Jeanne Dubas qui nous a aimablement accordé un entretien. Elle n’a toutefois pas été en mesure de nous dire qui a lancé l’idée d’admettre les femmes dans le Cercle ni si la chose avait suscité des débats. Bernard Garnier, également consulté à ce sujet, n’a pas non plus été en mesure de nous éclairer à ce propos. Marie-Jeanne Dubas pense toutefois que tout cela « s’est sans doute fait très naturellement ». Son parcours de vie l’a amenée à venir s’installer à Fribourg en 1968 pour s’occuper personnellement de la pharmacie paternelle. Comme elle nous l’a déclaré : « C’est M. Nussbaumer qui m’a approchée pour être membre du parti radical ». Elle a accepté étant donné qu’elle appartenait à une famille de tradition radicale. Cela lui a permis de faire une législature en tant que députée au Grand Conseil. Comme elle nous l’a affirmé : « En tant que femmes, nous étions très minoritaires et nous avons tâché de bien travailler ». Et son entrée dans le Cercle s’est faite selon elle dans la foulée de son engagement politique. Quant à l’autre membre féminin de 1979, Liselotte Spreng, décédée en 1992, son parcours accrédite l’hypothèse selon laquelle le Cercle se serait inscrit dans l’air du temps en acceptant les femmes. En effet, Liselotte Spreng a été membre puis présidente en 1967 de l’Association fribourgeoise pour le suffrage féminin. Elle est considérée comme une pionnière du féminisme dans le canton de Fribourg. Elle aussi a été députée radicale au Grand Conseil de 1971 à 1976 et même Conseillère nationale de 1971 à 1983. A ce titre elle est entrée dans l’Histoire de notre canton en tant que première parlementaire fribourgeoise à Berne. Quant à Marie-Jeanne Dubas, elle a encore pu nous apprendre qu’elles avaient toutes les deux été bien accueillies, notamment par Jean Aebischer et Jean-Claude Bardy. Ce qu’elle a apprécié car, de son propre aveu, elle était « un peu timide ».