Immeubles et création de la Fondation du Cercle

La plaquette commémorative du 150e anniversaire du Cercle donne d’amples précisions sur les premiers locaux occupés. La société suit l’évolution et le développement de la Ville, se déplaçant géographiquement du centre historique vers la gare pour se fixer en périphérie à partir des années 1970. Les premières années d’existence, on se réunit à la rue de Lausanne jusqu’au 23 juin 1824 où le Cercle devient copropriétaire d’un immeuble situé à l’angle de la Place Notre-Dame, l’Hôtel des Marchands ou des Merciers. Il sera le lieu de réunion incontournable des libéraux-radicaux durant 78 ans. Ignace Thürler, lieutenant-colonel et président du Cercle de 1843 à 1844, en est le tenancier depuis 1831.

Ancien hôtel et café des Merciers, photographie de Prosper Macherel, entre 1903 et 1907, carte postale

En 1902, l’immeuble qui «menaçait ruine» selon l’architecte Léon Hertling, devient propriété de la Banque de l’Etat de Fribourg. Cette dernière emménage à la fin novembre 1907. Le Cercle a anticipé ces changements majeurs en devenant propriétaire de l’ancienne villa de Camille Morel-Mollet — le fascicule commémoratif de 1966 mentionne faussement le nom de Mallet —, construite selon les plans de l’entrepreneur Joseph Fischer en 1891 dans le nouveau quartier de St-Pierre. C’est Adolphe Fraisse (6 août 1835 à Ferney-Voltaire — 27 septembre 1900 à Berne) qui est le concepteur de l’extension du quartier de St-Pierre dont le plan est dessiné en 1888. Cette zone comporte des immeubles de rapports et des activités indépendantes à proximité de la gare construite à la fin des années 1870.

La rue Saint-Pierre vers 1904 d’après une ancienne carte postale. Le bâtiment du Cercle — ancienne villa Moret-Mollet est reconnaissable à gauche en avant-dernière position derrière la tourelle

L’actuel immeuble de la rue Saint-Pierre 8, anciennement au numéro 24, (bâtiment de l’Helvetia Vie, construit selon les plans de Jacques Jaeger entre 1973 et 1976 ; aujourd’hui s’y trouve la succursale de la CSS et de Bank Now), devient le nouveau siège. Jusqu’en 1973, le Cercle y tient régulièrement selon la tradition ses réunions et ses banquets. Dès 1963, des études sont menées pour assainir le bâtiment, mais ces démarches indiquent que les coûts seront impossibles à supporter. Parallèlement à ces considérations matérielles naît l’idée de la création d’une Fondation. Les archives du Cercle contiennent le procès-verbal manuscrit de la séance du comité se déroulant le 11 novembre 1969 à 17h00. Les principales préoccupations sont les suivantes : le souci de la démolition du bâtiment prévue pour mars de l’année suivante et son report à la fin juillet ; la difficulté de désigner le fils du tenancier, alors gravement malade, comme successeur ; la renonciation à l’exploitation du dancing Embassy et, enfin, l’idée d’une fondation nécessitant la révision des statuts du Cercle. Toute l’efficacité du comité de l’époque pour traiter ces objets se mesure au chronomètre : la séance est levée à 18h45.

Les statuts sont adoptés en assemblée générale le 25 juin 1970, à 18h15, dans une salle du restaurant de la Grenette, par un coup d’ironie de l’Histoire, à proximité du premier local occupé par le Cercle un siècle plus tôt. La Fondation devient la concrétisation d’une réflexion menée depuis quelques années au sein du Cercle. Si son but est «de favoriser la formation civique des citoyens et citoyennes et leur participation à la vie politique et culturelle de la cité dans le respect des principes libéraux d’une saine démocratie» (article 3), un second objectif est d’affecter à la Fondation les immeubles dont il est propriétaire, à savoir le bâtiment de la rue St-Pierre et ses dépendances. Cet aspect devient problématique pour le Cercle dès 1971.

Les séances du Comité durant cette année sont focalisées sur la question immobilière. Réunions entre propriétaires, corrections des mesures réalisées par les géomètres, projets de location du rez-de-chaussée de l’immeuble voisin durant la période des transformations, mandats à confier à des entreprises, contacts avec la Ville de Fribourg et les banques, renouvellement des patentes du dancing, appels d’offres et soumissions sont le menu principal des discussions. Les octrois des prêts hypothécaires ne sont pas à la hauteur des espérances, ce qui implique de revoir entièrement le plan de financement et de rendement locatif (12 novembre 1971).

Un document capital pour comprendre l’histoire du Cercle, estampillé «Confidentiel», est le projet du rapport du Conseil de Fondation daté du 26 janvier 1972 pour l’assemblée générale du 4 février 1972. C’est un bilan de la situation malheureuse dans laquelle se trouve le Cercle. Les travaux de démolition ont pris du retard, le propriétaire voisin dont dépend l’accès au chantier ne respecte pas le calendrier en dépit de ses promesses, la Ville de Fribourg et l’Etat traînent les pieds pour octroyer le permis de construire. Mais le pire reste à craindre. A la veille de la crise pétrolière, les prix flambent. Le coût de construction du nouveau bâtiment prend l’ascenseur : le devis a presque doublé en une année. Dans ces conditions, le

Vue d’une partie de la façade de l’immeuble de la rue St-Pierre, avec l’enseigne de l’Embassy et les échafaudages, symbole de la modernisation du quartier, sans date, archives du Cercle

rendement basé sur les locations n’est plus garanti, les risques sont trop importants. Au cœur du faisceau des vents contraires qui s’abattent sur le projet, une dernière estocade est portée. Le Cercle considère comme une conspiration menée «par le Conseil d’Etat, avec la complicité de la Préfecture et de la direction de la Police locale» le fait de délivrer «de manière inconsidérée des patentes de bar-dancing à la plupart de ceux qui en font la demande». Le souffle de mai 68 est passé par Fribourg : sa jeunesse est friande de nouveaux loisirs. Le dancing du Cercle est soumis à une forte concurrence. Le permis de construire est enfin délivré le 5 mars 1972, incluant une obligation de créer un parking souterrain que la Fondation considère comme irréalisable. Fort de ces constats, le Comité soumet à tous les membres l’idée d’abandonner la construction en faveur d’une vente en espérant trouver un acquéreur acceptant de payer un gros prix pour une situation attrayante au cœur de la Ville. Ce changement de stratégie, difficile à assumer mais accepté sans grandes discussions, se révèlera payant.

Après avoir passé au peigne fin l’ensemble des plans financiers et avoir tenu compte des projections, le Conseil de Fondation décide à l’unanimité le jeudi 25 avril de présenter la proposition de la vente de la parcelle de la rue St-Pierre à l’assemblée générale du Cercle qui se tient 2 jours plus tard. C’est le moment de prendre une décision définitive. Le rapport insiste sur le risque trop important de dépendre d’une location d’une partie de ses locaux sans garantie de protéger le patrimoine. «Ce risque, insiste-t-on, le Conseil de Fondation ne l’entend pas l’assumer». Le pragmatisme prime sur l’idéalisme, aux dépens de certains membres ayant invoqué par le passé des raisons de prestige pour le maintien du Cercle au centre-ville.

Le Cercle et la Fondation ne sont pas au bout de leur peine. Il faut régler la question de l’imposition sur le gain immobilier qui, s’il est converti en impôt sur la plus-value, permet de diminuer la facture de moitié. Le Conseil de Fondation sollicite une entrevue avec le Conseiller d’Etat Arnold Waeber (né le 27 janvier 1923 à Tavel — décède le 8 mai 1988 d’une crise

La rue Saint-Pierre 8 bouclée le jeudi 9 juin 2011 suite à l’envoi d’une enveloppe suspecte adressée à un bureau de l’immeuble. En raison du risque qu’il s’agisse d’anthrax, l’évacuation s’est faite aux alentours de 10h30. Les analyses ont indiqué par la suite qu’il s’agissait de cocaïne et d’héroïne (photo 20minutes)

cardiaque dans sa voiture entre Tavel et Mariahilf) qui reçoit une délégation du Cercle le 13 mars 1973 (voir la rubrique Sources). L’objet principal de cette entrevue, outre d’exposer au ministre des Finances cantonal le choix cornélien auquel le Cercle est confronté, est de savoir à quelle sauce fiscale il sera mangé selon l’option envisagée. Commence alors un processus de restructuration du Cercle qui débute par la dissolution de la première Fondation prononcée le 2 avril de la même année à 17h22. Elle aura vécu moins de trois ans. Puis le bal des futurs

Le Café Restaurant du Jura, anciennement hôtel du Jura puis restaurant-pizzeria du Jura, en juillet 2016 (photo PM)

acheteurs commence, interrompu par des tractations avec la Bâloise dont la propriété a empiété sur celle du Cercle. L’offre de l’Helvetia est retenue officiellement par le Conseil de la nouvelle Fondation le 11 avril 1973, après élimination de deux autres candidatures. On avait estimé à juste titre qu’il était «urgent d’attendre» afin de trouver un repreneur. Le 3 août, la proposition d’achat du Café Restaurant du Jura est avalisée. Le 5 septembre, soit 5 jours après l’entrée en jouissance, l’acquisition est décidée avec l’approbation entière de l’assemblée du Parti. La stipulation a lieu le mardi 11 septembre auprès de Me Wolhauser et l’Etat sera moins gourmand que prévu, acceptant la proposition du Cercle.

D’autres projets immobiliers surgissent. La fin de l’année 1973 voit s’échapper l’opportunité d’acheter un immeuble au chemin de Bellevue au Schoenberg. En séance du 25 mars 1974, «pour l’achat d’un nouvel immeuble il est décidé que cet achat ne peut concerner que des immeubles se trouvant à Fribourg ou dans les environs, mais pas en dehors du rayon indiqué». Durant cette réunion, les membres du Conseil de Fondation apprennent qu’Henry Bardy donne sa démission immédiate de Président du Cercle littéraire et de la Fondation. Il avait annoncé son départ en 1973 déjà, envisageant son retrait après 40 années de présidence.

Le 5 septembre 1974, une nouvelle proposition d’achat immobilier avec quatre objets — à la rue Guillimann, à Bourguillon, à Marly et à Moncor — est avancée. On considère cependant que la question n’est pas pressante. Seul l’immeuble de Moncor encourage un membre à pousser les investigations du côté de l’Office des poursuites. L’affaire prend de l’ampleur puisque le 19 septembre, on décide de déposer une offre et d’effectuer une vision locale. On signale également un autre immeuble à vendre à la route des Préalpes. Le 3 octobre, des chiffres précis sont articulés et le calcul de rendement montre qu’un tel achat serait intéressant. L’absence de places de stationnement en quantité suffisante instille le doute au sein du Conseil de Fondation pourtant enclin à l’achat. Le dossier est en suspens. On s’intéresse alors à d’autres achats du côté de la route de Bertigny et, plus symboliquement, au Café du Gothard, mais on y renonce. Les investigations se poursuivent à Marly avec deux bâtiments (avril 1975), au Champ des Fontaines (juin 1975) mais c’est Moncor qui revient sur le devant

L’immeuble de Moncor, dans un paysage encore peu urbanisé, reconnaissable aux échafaudages à droite de l’image, bordant la route cantonale (archives du Cercle)

de la scène, sans toutefois arracher la décision. Dans sa séance du 2 octobre 1975, le pas est franchi : le Conseil de Fondation se porte acquéreur. Le 12 novembre, le procès-verbal mentionne que tous les feux sont au vert, les modalités de la transaction sont arrêtées. Dans le même document apparaît, dans un tout autre domaine, la rubrique «admission de sociétaires féminins» dans laquelle on apprend que le terme «citoyen» figurant à l’article 6 est applicable aussi aux femmes, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de modifier les statuts à ce sujet

L’actuelle «salle du Cercle» au sous-sol du Café du Jura trouve son origine au début de l’année 1976. Face à un devis exorbitant de transformation, le Conseil de fondation renonce à ce projet mais « se prononce, en revanche, pour un aménagement permettant à moindre frais, de mettre à la disposition du Cercle et du Parti un local de réunion aussi confortable que possible». La séance du 10 mars est levée à 11h45 et elle est suivie d’une vision locale de la salle du sous-sol, ce qui prouve l’intérêt porté à cette question. La société de tir de la Ville de Fribourg est la locatrice à l’année : il faut donc l’avertir de ce projet. Les immeubles de Moncor sont rafraîchis et des travaux sont planifiés à la même époque. En été 1976, la salle du

L’immeuble de Moncor et une vue surprenante sur la piscine située au milieu du parc transformée aujourd’hui en place de jeux

Cercle est enfin prête. La révision des statuts adoptée par l’assemblée générale du 10 juin mentionne pourtant que le nombre maximal de membres ne doit pas «compter plus de quatre-vingts membres actifs et honoraires» (article 3). Les réunions du Cercle ont désormais lieu dans un local aux dimensions parfaitement adaptées. L’inauguration et la remise officielle au Parti sont également évoquées. Les archives du Cercle sont déposées désormais dans leur nouvel écrin après élimination d’anciens tableaux «à l’exception des photographies des “récents anciens présidents» (7 décembre 1976).

A partir de 1977, le Cercle et la Fondation sont surtout responsables de gérer les deux biens en leur possession. Les dossiers et les procès-verbaux mentionnent une succession de travaux, de chiffres et de rapports. Relevons au milieu de cette routine administrative d’importantes transformations envisagées au début de l’année 1985. Ces travaux sont vivement critiqués par Henry Bardy, auteur d’une lettre de protestation stigmatisant le montant des investissements envisagés et le manque de concertation qui aurait présidé à cette décision. Par une lettre bien sentie adressée à son président d’honneur le 2 octobre, mais dont le brouillon date déjà d’août 1985, le Conseil de Fondation réfute l’accusation avec force et arguments chiffrés à l’appui. D’après les documents consultés, cet épisode est le seul nuage dans le ciel harmonieux du Cercle.

La décennie 1980 — 1990 est marquée par d’importants travaux d’entretien et d’assainissement du parc immobilier. De fait, les liens entre le Cercle et la Fondation se nouent de plus en plus étroitement au point que les comités des deux associations comptent les mêmes représentants. L’année 1997 est celle du changement de tenancier avec un rachat par la Fondation des installations du restaurant. L’activité hôtelière du bâtiment du Jura est mise en question au milieu de l’année 1998 et, l’année suivante, après une longue réflexion, on tranche pour la rénovation des 8 chambres. Comme toujours, le montant envisagé freine l’enthousiasme initial, ce qui laisse le projet en suspens. On renonce définitivement à l’activité hôtelière à l’automne 2005 pour transformer les chambres du 2e et 3e étages en studios. La proximité de l’Université est un argument en faveur de l’accueil d’étudiants.

En 2002, le Conseil de Fondation cherche à mettre en vente l’immeuble de Moncor, le but de la vente étant de réinvestir le montant dans le bâtiment du Jura. Mais malgré 42 personnes ou institutions ayant reçu l’offre, aucune promesse n’est déposée. En 2004, le 29e intéressé renonce encore. A la fin de l’année, une nouvelle proposition est présentée à deux reprises, mais en dessous du prix fixé. A force de patience, la vente fixée au prix initial est enfin conclue le 17 janvier 2005. Le Cercle et la Fondation se séparent ainsi de la moitié de leur patrimoine complété trente ans auparavant. La vente de l’immeuble de Moncor relance les rénovations du Café du Jura dès le milieu de l’année 2006 et les travaux battent leur plein jusqu’au printemps 2007. La commémoration du 200e anniversaire du Cercle est l’occasion d’envisager un réaménagement complet de la terrasse, des escaliers et des niveaux situés à l’arrière du bâtiment, l’ensemble étant baptisé désormais Jardin Courbet.