L’acceptation de la nouvelle Constitution fédérale en 1874 donne au Cercle un nouvel enthousiasme. C’est un réveil politique. On fête cet évènement par un banquet réunissant toute la fleur du libéralisme fribourgeois. Délégués des districts, représentants des sociétés ouvrières, banquiers, négociants, industriels, hommes d’affaires, étudiants se coudoient. Toasts et discours fêtent le succès de la Révision. On affirme « la victoire du parti libéral par le Cercle ». On éprouve le désir de collaborer avec les autres sociétés libérales afin de faire « triompher le parti libéral par l’union et l’unité ». Le poète Sciobéret de Bulle pense que « la mission des cercles politiques est d’entretenir le feu sacré ». L’avocat Marmier, président, souhaite dans un télégramme « que le Cercle rallie à son foyer tous les vaillants Libéraux de la ville de Fribourg et qu’il préside aux luttes et aux destinées du parti radical fribourgeois tout entier ». Bielmann, rédacteur du Confédéré « exhorte les libéraux fribourgeois, à quelque nuance qu’ils appartiennent, à s’unir et à travailler à la propagation des idées libérales dans le canton par la presse et l’association ». Fasnacht, avocat à Morat dit que le « parti radical fribourgeois a besoin de cohésion, d’organisation ; il trouvera des armes puissantes dans la nouvelle Constitution fédérale de 1874 ». Enfin, le notaire Hartmann, vétéran du Cercle, note qu’en 1830, les libéraux «n’ont point fait d’ostracisme; ils ont pris dans tous les partis ce qu’il y avait d’intelligent et d’honnête pour gouverner »1. II souhaite que le gouvernement fribourgeois l’entende. II fait appel après une période d’apathie du Cercle, à la nouvelle génération et à la jeunesse. Le banquet organise par le Cercle en 1874 est ainsi place sous le signe de la jeunesse et du réveil politique des libéraux fribourgeois.
D’autre part, la création du Cercle catholique~, amena les libéraux à durcir leurs positions et à s’opposer à tout ce que celui-ci préconisait et à soutenir tout ce qu’il exécrait. Sans entrer délibérément dans J’arène politique, le Cercle éprouve la nécessité de se prémunir contre l’intransigeance croissante du Cercle catholique et de ses adeptes.
Une propagande s’organise pour augmenter l’effectif du Cercle. On cherche à y introduire des amis politiques étrangers à la ville. Les contacts avec les cercles de Bulle, d’Estavayer, de Romont, de Morat, avec les soci6tes du Grütli et des Arts et Métiers se multiplient. Certains voudraient laisser aux campagnards « libre accès» dans le local, les jours de marche. A l’occasion de l’ouverture d’une Ecole militaire à Fribourg, le colonel fédéral Salis est informe que les locaux du Cercle sont ouverts à messieurs les officiers pendant toute la durée de l’école; comme cela avait déjà été le cas en 1847 – 1848 pour le général Dufour et ses officiers.
A partir de 1875, l’évènement le plus important dans la vie du Cercle et qui se renouvelle chaque deux ou trois ans, c’est son banquet. II est fréquenté par de nombreux amis politiques du canton et de la Suisse. C’est l’occasion de faire le point, d’écouter des orateurs défendre les principes démocratiques. C’est une espèce d’examen de conscience patriotique. On compte ses forces, on cherche comment ébranler la puissance conservatrice. Des tribuns déploient leur éloquence à encourager I’ opposition, à secouer la tutelle politique installée dans le canton. Mais ce flot de paroles ne réussit pas à mettre en péril la forteresse conservatrice. II manque les actes. Evidemment, le Cercle n’en a pas les moyens, et les banquets termines, la flamme s’apaise, s’éteint parfois. Mais ceux-ci gardent le privilège de proclamer bien haut les mécontentements, de se donner une impression de cohésion, un espoir de victoire. II n’empêche que les joutes oratoires de 1875, 1877, 1881, 1882 sont dignes d’intérêt. Evoquons-en quelques-unes et nous comprendrons aussi mieux la boutade de Benjamin Constant disant que « le parti libéral a passé sa vie à toaster ».
Ainsi le banquet de 1875 s’ouvre sur un toast de bienvenue au peintre et sculpteur Gustave Courbet qui a fait don au Cercle d’une reproduction de sa sculpture :
L’Helvétie ou la Liberté. Le banquet sera évidemment place sous le thème de la liberté que Courbet dit avoir retrouvée en Suisse. Puis, c’est le salut aux délégués des associations ouvrières, aux délégués des districts: « C’est en marchant la main dans la main, en défendant solidairement nos intérêts communs, et non pas par de vaines théories d’isolement, que nous pourrons régénérer notre pays et résoudre d’une manière équitable les grands problèmes sociaux et politiques.
A l’occasion de cette fête patriotique du parti libéral, comme en 1848 le Cercle recevait 1a visite de Druey, le grand homme d’Etat vaudois, c’est le président de la République de Genève Carteret qu’il invitait en 1875. Celui-ci déclarait: « Ainsi nous voyons les libéraux fribourgeois luttant depuis vingt années, croyant conquérir leur liberté et la voyant toujours s’échapper…, nous ferons tout pour vous sortir de votre affreuse position ».
Malgré ces promesses, le sort des Libéraux fribourgeois n’avait guère change en 1877. De nouveau, de virulents discours sont échanges. Urbain Schaller, président, rappelle l’anniversaire du Sonderbund « Honneur aux patriotes de 1847 qui ont sacrifié biens et vie pour terrasser l’hydre aux sept têtes et sauver la Patrie! ». On désire mettre deux choses en pratique: la Constitution féderale de 1874 et le développement de l’instruction populaire.
120 membres se rendaient à l’appel le 20 février 188l. L’avocat Bielmann, président, concluait en ses termes: « La journée a été bonne pour le Cercle et pour le libéralisme fribourgeois. II y a un réveil significatif dans l’opinion, on ne saurait le nier » ». Le vice-président de la Confédération Ruchonnet assistait au banquet du 29 janvier 1882. Bielmann retrace, à cette occasion, l’histoire du Cercle, son rôle, son action, sa fondation qu’il fait remonter en 1814. « Le protocole du Cercle, dit-il, est l’histoire du libéralisme dans le canton de Fribourg » ». Carteret trace en paroles de feu, le devoir des minorités dans le concert helvétique, si l’on veut arriver à donner à nos institutions libérales taus les développements qu’elles comportent dans l’intérêt de l’instruction et de l’émancipation du peuple. Ruchonnet développe un parallèle entre les deux principes qui se disputent la prépondérance dans nos affaires publiques: l’autorité et la liberté. Comme à chaque réception le conseiller aux Etats genevois Dufernex semble rappeler aux invites qu’ils se trouvent dans un Cercle littéraire et déclame des alexandrins de son cru qu’il intitule tantôt « Les élus de l’amour», tantôt «La chanson d’Aloys ». Mais, le moment poétique passe, les discussions politiques reprennent pour se terminer sur une note artistique avec la Société de chant sous la direction du célèbre Vogt.
Lancé dans le courant politique, le Cercle s’efforçait de distinguer sa propre caisse et la caisse dite « patriotique ». En 1883, comme les années précédentes, le bureau du Cercle invitait par une circulaire ses membres et leurs familles à collaborer à une tombola « dont le produit devait servir à alimenter la Caisse patriotique » (Circulaire imprimée du bureau du Cercle, datée du 6.2. 1883). Il faut entendre électorale. Les dames des sociétaires participaient aussi à « cette œuvre nationale » en recueillant les dons et en arrangeant les lots. Personne évidemment ne refusait son offrande à d’aussi charmantes solliciteuses.
Le banquet du Cercle couronnait ses efforts politiques le 2 décembre 1883 à l’Hôtel National – anciennement Abbaye des Marchands -. On discute de l’inégalité dans la répartition des impôts, de la suppression des privilèges et de la nomination des syndics et des fonctionnaires par le peuple ». Le président H. Cuony ne craignait pas d’affirmer que: « avec l’ostracisme qui régné à Fribourg, il faut du courage pour affirmer des opinions libérales … il faut être riche a Fribourg pour se payer des convictions indépendantes ». II jugeait nécessaire l’éducation populaire : « quand le peuple sera instruit, les idées libérales se propageront d’elles-mêmes ».
Puis les banquets ne furent plus organises avec régularité. Le 18 décembre 1895 pourtant, les libéraux-radicaux de la ville de Fribourg « dont le centre de ralliement est notre ancien Cercle Littéraire et de commerce », se rassemblent « cette année, après les luttes des élections communales et à la veille des luttes de 1896 ». Si l’on éprouve la nécessite de se rencontrer c’est afin de « discuter ensemble des intérêts du pays et de la patrie suisse et de prendre des résolutions pour l’avenir ». Un historique du Cercle est à nouveau présenté par son président A. Galley; celui-ci porte sa fondation a 1816. Puis, on décide de reprendre la lutte contre l’exclusivisme et l’intransigeance. La question sociale est évoquée au banquet de 1897. Les sociétés ouvrières, dont le Cercle des Travailleurs de la Neuveville et l’Union ouvrière de l’Auge, sont représentées. Après avoir retracé l’œuvre des hommes du gouvernement de 1848 – quant à la législation et aux chemins de fer – Bielmann souhaite pour le Cercle et le parti radical, « de conserver le contact avec le parti ouvrier ». II s’agit de marcher avec lui à « la conquête des droits populaires et des réformes politiques », de promouvoir une « réorganisation judiciaire et fiscale ». Les questions d’assistance, la création d’asiles pour les vieillards, d’une maternité, d’un hospice cantonal doivent être les premières préoccupations. Au nom des cercles ouvriers, Marc Bardy remercie le parti radical de la sollicitude qu’il porte aux questions sociales. En 1899, les mêmes questions sont débattues en présence du Conseiller fédéral Lachenal. II s’agit de soutenir les œuvres éminemment sociales comme, par exemple, la loi fédérale sur les assurances obligatoires.
Ainsi, à partir de 1875, les thèmes défendus par les membres du Cercle étaient soulevés à l’occasion des banquets. Les protocoles transcrivent surtout les délibérations d’ordre matériel, sans grand intérêt pour l’histoire du Cercle. A n’écouter que les discours de banquet dans le dernier quart du XIXe siècle, on serait tente d’identifier le Cercle au parti radical. II est vrai que la démarcation entre les deux est, à ce moment-là, à peine perceptible. Bielmann disait en 1883: « Si vous voulez détruire l’esprit patriotique – il faut entendre politique -, le Cercle n’a plus sa raison d’exister et tomberait en peu de temps »
Plusieurs membres, représentant la survivance de l’élément libéral-modéré sont inquiets de cette tournure politique que le Cercle a prise, une fois de plus. Ils demandent, en 1888, une révision des statuts, une réorganisation du Cercle. L’assemblée générale du 21 janvier 1891 déclare que « le Cercle doit se tenir en dehors de toute politique tant que les statuts ne seraient pas révisés, les réunions politiques au local du Cercle étaient anormales ».
La révision de 1896 ne fait que sous-entendre ce but politique attribue au Cercle’ : « il a également pour but de propager les idées de progrès, de liberté et d’indépendance ».
En 1903, quinze membres demandent encore un changement partiel des statuts dans un sens plus franchement politique. Paul Guerig trouve qu’ils ne « définissent pas assez nettement le but que poursuit notre Cercle, but qui est avant tout politique ». Les adversaires de cette révision ne trouvent pas opportun d’inclure dans les statuts que le Cercle offre aux citoyens du parti libéral-radical un centre de réunion. Ils pensent que cela pourrait nuire à certains membres. Et, ils craignent qu’il devienne « le centre de ralliement de tout le parti Libéral-radical-socialiste ». En effet, la peur du socialisme poussait certains éléments à cette intransigeance. D’autre part, « cette nouvelle transformation du Cercle compromettra sûrement 1’état de nos finances, car si la motion est admise, la caisse de notre Cercle deviendra forcement la caisse politique du parti radical ». Guerig rétorque : « Les protestataires ont écrit que l’on voulait introduire des idées radicales-socialistes au sein de notre association. Ce ne sont pas des idées aussi avancées qui nous poussent à la révision de nos statuts. Nous estimons le moment venu, à la veille d’entrer dans un nouveau local, d’indiquer franchement ce qu’était notre Cercle avec son étiquette littéraire et de commerce. De la littérature nous n’en cultivons point, du commerce on n’en discute pas. Notre Cercle n’est-il donc qu’un lieu de réunion pour des lotos ? L’idéal des motionnaires est aussi de travailler à la propagation des principes politiques de l’opposition libérale-radicale fribourgeoise. C’est contre soi-même que l’on doit se prémunir et avoir la franchise de dire que nous sommes libéraux-radicaux ».
Apres l’inauguration du nouveau local, Guérig revient à la charge pour une modification des statuts: «Lors de l’inauguration de notre local, tous les discours, sauf un, qui ont été prononcés sont des discours politiques. Donc, notre Cercle, quoiqu’on en dise est un Cercle politique ». Guérig souhaite « qu’il soit dit politique et soit rattaché au grand parti démocratique national suisse ».
Par une habile diplomatie, Edouard Bielmann réussit à repousser à plus tard la motion Guérig. Celui-ci mourut en 1904, sans que les statuts aient été modifiés. Bielmann émettra alors le vœu de travailler « politiquement davantage et que le Cercle soit à disposition pour les réunions politiques ». « Nous avons besoin de serrer les rangs, de reformer le parti a cote des socialistes qui se sont organisés à Fribourg ». Le socialisme, de plus en plus pressant, provoqua donc une émulation certaine au sein des libéraux-radicaux.
En 1907 seulement, la révision des statuts oriente le Cercle vers un but différent de ce qu’il avait été jusqu’alors. Du salon de lecture il devient avant tout le foyer du parti radical. L’article premier l’annonce : « La Société régie par les présents statuts, fondée à Fribourg sous la dénomination de Cercle littéraire et de commerce, a pour but de travailler à la propagation des principes démocratiques et des idées nationales suisses ». « Pour réaliser ce but, le comité s’efforcera d’organiser au local de la Société, des conférences sur des sujets propres à développer l’éducation politique du citoyen, de même que sur des questions touchant à la littérature, aux arts, à l’industrie et au commerce ». Le Cercle gardait cependant son étiquette neutre et historique.
II fallut donc bien se rendre à l’évidence. Le Cercle ne pouvait poursuivre en 1900 le même but qu’en 1830. Ce salon de lecture avait presque toujours entretenu parallèlement quelque activité politique. Quand, au tournant du siècle, la lecture des journaux n’est plus le principal objectif des membres, il faut bien qu’on définisse le véritable but de cette association. Les articles de 1907 ont statue un état de fait qui avait surtout évolue depuis le dernier quart du XIXème siècle.