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La Constitution cantonale du 4 mars 1848

Acte fondateur de la démocratie dans le canton de Fribourg – Contribution de Bernard Garnier

La Constitution cantonale du 4 mars 1848 mérite le qualificatif d’acte fondateur même si un premier pas vers une conception libérale et démocratique de l’Etat de Fribourg avait été fait 17 ans plus tôt. Notre canton avait en effet été dote d’une Constitution modestement« libérale » Le 27 janvier 1831 en réponse aux pressions exercées par les milieux libéraux des chefs-lieux et des grandes communes et à la colère populaire exprimée lors de la journée des bâtons du 2 décembre 1830. Face à la foule massée devant l’hôtel de ville le 2 décembre 1830, l’avoyer Joseph de Diesbach avait promis une nouvelle Constitution libérale. Cette Constitution de 1831 fut élaborée par une assemblée constituante qui introduisit quelques droits populaires avec des élections indirectes selon le mode censitaire.

Des 1837 on assista cependant au retour en force des Conservateurs qui finirent par engager début 1847 notre canton dans le « Sonderbund ». Le 13 novembre 1847 eut lieu la capitulation de la ville après la brève « bataille » a la redoute de Bertigny et le 15 novembre, un groupe de « radicaux », emmenés par Julien Schaller, s’emparait du pouvoir à la faveur d’une assemblée populaire au théâtre de Fribourg sous la protection des troupes fédérâtes. Les acteurs du pouvoir conservateur s’étaient dispersés dans la nuit du 14 au 15 novembre sans prendre contact avec les représentants fédéraux.

Or les auteurs de ce coup d’Etat radical n’étaient pas issus d’un parti radical, alors inexistant, mais de cercles progressistes crées a Fribourg, Bulle. Romont et Morat par opposition à la restauration de l’ancien régime de 1815. Julien Schaller lui-même, l’homme fort de ce mouvement radical, était membre du Cercle littéraire et de commerce de Fribourg créé en 1816.

Ce nouveau gouvernement radical exer9a provisoirement tous les pouvoirs et fit rapidement élire une assemblée constituante de 75 membres. Celle-ci confia le travail de rédaction à une commission de trois membres. Le projet de cette commission fut adopte le 4 mars 1848 sans modification majeure.

Dans son titre premier, cette constitution du 4 mars 1848 fait une large place aux libertés et droits individuels: liberté du culte catholique et reforme, liberté individuelle, égalité devant la loi (abolition des privilèges y compris la particule), abolition de la peine de mort, droit de pétition et de libre établissement (sous condition de réciprocité avec les autres cantons), garantie de la propriété. La langue fran9aise est reconnue langue du gouvernement. Les lois, décrets et arrêtés devront cependant être publies dans les deux langues. C’est tout de même un changement majeur, puisque depuis l’entrée du canton dans la Confédération en 1481 la langue officielle et notamment celle des procès-verbaux du gouvernement était l’allemand.

Au titre II, la division du territoire cantonal est ramenée de 13 à 7 districts. A cette occasion, la partie germanophone des anciennes terres, jusque-là directement rattachées à la ville de Fribourg, devient le nouveau district de la Singine, le reste des anciennes terres étant incorporées au district de la Sarine. S’inspirant de l’exemple français, le régime radical donne à ces nouveaux districts des noms de cours d’eau.

Le titre III attribue la souveraineté aux citoyens actifs réunis en assemblée électorale. Ceux-ci élisent un député pour 1500 âmes ou une fraction dépassant 1000 âmes. II s’agit donc d’une élection directe du Grand Conseil, alors que la Constitution de 1831 prévoyait une élection du Grand Conseil par l’intermédiaire d’électeurs désignés lors d’un premier tour. Les restrictions apportées a la citoyenneté (insolvables, assistés, interdits de séjour ou d’auberge, délinquants) sont moins nombreuses que dans la Constitution de 1831 qui excluait notamment les domestiques. Petite entorse aux droits populaires: la durée de la première législature est fixée à 9 ans sans aucun renouvellement. Le Gouvernement radical voulait se donner le temps de refaire entièrement la législation cantonale, ce qu’il fit effectivement. Au-delà de ces neufs premières années, la durée de la législature est fixée à 5 ans.

Le titre IV est consacré aux différents pouvoirs (Législatif, exécutif et judiciaire) dont la séparation est clairement énoncée a I ‘article 52. Ces trois pouvoirs sont ouverts à tous les citoyens fribourgeois actifs. Les attributions du Grand Conseil sont pratiquement identiques à celles exercées actuellement). L’effectif du Conseil d’Etat (ce nom a remplacé en 1831 celui de Petit Conseil) est ramené de 13 à 7 membres.

II est nommé par le Grand Conseil pour une durée de 8 ans, durée qui correspondra à celle du régime radical. Les attributions de ce gouvernement et de son administration sont définies au chapitre III de ce même titre et précises dans la loi sur le Conseil d’Etat et l’administration de 1848, loi restée en vigueur jusqu’en 2001, soit pendant 153 ans.

A cette réforme du gouvernement s’ajoute celle de la justice qui fait l’objet du chapitre IV. La reforme principale consiste en la création d’un tribunal cantonal comme seule autorité judiciaire supérieure du canton. II est .nomme par le Grand Conseil pour une durée de huit ans. Ce tribunal cantonal surveille et dirige les tribunaux d’arrondissement. Les codes de procédure civile et pénale seront totalement revus et adoptes par le Grand Conseil en 1849 et 1850. Cette réforme de la justice par l’institution d’un tribunal cantonal a fait l’objet d’une étude approfondie du juge fédéral Gilbert Kolly publiée en 1998 dans la Revue fribourgeoise de jurisprudence.

Le titre V traite des communes et de leur relation avec l’Etat qui exerce la haute surveillance et se voit soumettre pour approbation tous les règlements communaux. Alors que tous les citoyens actifs ont le droit d’assister aux assemblées communales, toute distinction entre bourgeois et ressortissants non communiés ou habitants perpétuels est abolie (article 80).

Jusque-là cette Constitution faisait donc preuve d’un esprit démocratique et novateur et ses dispositions se retrouveront sans modification majeure dans la Constitution de 1857 restée en vigueur jusqu’en 2001 et émise par le régime libéral conservateur qui succèdera au régime radical. Ce n’était en revanche pas le cas du titre VI dont certaines dispositions relèvent d’un esprit violemment anticlérical. Cet anticléricalisme est pour une part une réaction à la position dominante du clergé dans la vie publique et l’enseignement. Mais il a d’autre part ses origines aussi dans les ressentiments personnels a l’égard du clergé de Julien Schaller, marque par la mort de son frère aine, alors qu’ils étaient tous deux élevés au collège bénédictin de Rheinau (on ne connait pas les circonstances de ce décès).

Dans ce titre VI, le clergé est soumis aux lois de l’Etat, notamment fiscales, les biens de l’évêché et du clergé sont places sous administration civile, les colatures des bénéfices ecclésiastiques sont dévolues à l’Etat et l’enseignement est interdit aux corporations, sociétés ou congrégations religieuses. Les jésuites et liguoriens sont non seulement interdits de séjour dans le canton, mais leurs élèves sont exclus de toute fonction publique. Ces dispositions extrêmement dures pour les institutions religieuses qui a l’époque assuraient la partie majeure de l’enseignement primaire et secondaire dans le canton provoqueront une pénurie d’enseignants que le régime radical cherchera à compenser en rendant l’école normale également accessible aux jeunes filles. Elles seront également à l’origine de la colère des communes qui comptaient sur les religieux ou religieuses pour l’enseignement primaire à bon compte et qui se verront imposer par le régime radical l’engagement, la rétribution et l’entretien d’un instituteur ou d’une institutrice. C’est bien de ce titre VI de la Constitution qu’est née l’impopularité du régime radical qui malgré ses grands mérites sera balaye par les élections de 1856.

Alors que le titre VII exclut toute révision de la constitution pendant la première législature de neuf ans et fixe les conditions d’une révision ultérieure, le titre VIII contient une liste de 14 lois ou codes que le Conseil d’Etat s’engage à soumettre au Grand Conseil dans le délai de deux ans. C’est là l’annonce d’une activité législative tout à fait exceptionnelle et hautement bénéfique a laquelle va s’astreindre le régime radical durant les huit années de sa durée. Notre canton subira durant cette période une cure de transformation et de modernisation unique dans son histoire. Oppose à ce régime et réticent à l’égard du nouvel Etat fédéral de 1848, le peuple fribourgeois au contraire ne verra dans ce régime pendant longtemps qu’une parenthèse révolutionnaire et antireligieuse à oublier. 150 ans plus tard cependant, en 1998, le Grand Conseil a rendu hommage à Julien Schaller et a son action salutaire ayant permis au canton de surmonter la crise grave du Sonderbund et d’assurer son développement économique en obtenant notamment le passage de la ligne de chemin de fer Berne – Lausanne par Fribourg.

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